Le coeur caché par la mort.

Ils n'avaient presque pas échangé mot depuis qu'ils avaient quitté le lycée. Nicholas se sentait moins mal à l'aise que tout à l'heure, comme si le fait de ne pas interagir avec la divinité qui l'accompagnait lui retirait une certaine pression. Toutefois, cela ne changeait rien à l'intensité qu'il sentait entre eux deux... Une mouche aurait passé entre eux qu'elle serait morte électrocutée, il en était certain. Dans la voiture, il laissa jouer le CD qu'il avait glissé dans le lecteur le matin même; une compilation de ses morceaux classiques au piano préférés.

Absorbé par la conduite, il essayait de faire le moins de mouvements brusques possibles afin de ne pas troubler l'ambiance. Soudainement, Athénaïs se rua sur son poignet. La position de ses mains sur le volant avait relevé le tissus de sa chemise blanche, sur laquelle il portait un cardigan noir, et son poignet qui portait une montre en argent à laquelle il tenait beaucoup était désormais découvert. Visiblement, elle trouvait la montre très belle. Au contact de ses doigts sur son poignet, Nicholas frissonna et ses mains se crispèrent sur le volant. Elle ne lui laissa pas le temps de réagir et détacha la montre pour l'admirer. Son corps était proche du sien et son visage, lorsqu'elle le releva, se révéla n'être qu'à quelques centimètres de celui de Nicholas. Il en resta bouche-bée. Son regard fut absorbé par celui de la jeune femme et il dévia un peu de la route, se rendant compte à la dernière minute qu'il était maintenant complètement dans la voie en sens inverse. Heureusement que les rues de Mist n'étaient pas très achalandées...

Il donna un coup de volant pour rétablir sa position dans la bonne voie, ce qui fit glisser la montre des mains d'Athénaïs. Le bijou fut projeté aux pieds de Nicholas, près des pédales.

- Laissez, je la récupérerai quand...

Mais elle ne lui laissa pas le temps de terminer, déclarant qu'elle s'en occupait. Elle détacha sa ceinture et dans un mouvement félin qui fit perdre la tête à Nicholas, elle s'étendit sur ses jambes afin d'avoir l'extension nécessaire pour atteindre la montre. Les mains du jeune homme se crispèrent au possible, sa mâchoire se serra tant qu'il en ressenti de la douleur aux tempes et chacun de ses muscles se tendit dans un mouvement général de défense. Il fallait qu'il se contrôle, il avait l'impression que chacune des cellules de sa peau se gonflait d'hélium et allait bientôt prendre son envol pour le ciel. C'était comme si tendre ses muscles était le seul moyen de ne pas devenir un groupe de particules voletant dans l'habitacle de la voiture. Il fallait à tout prix qu'il se concentre sur la route. Bon Dieu! Ne pouvait-elle pas la rammasser, cette foutu montre??? Il en devenait impatient. Il sentait ses seins sur ses jambes... Son souffle chaud sur ses genoux et sa main qui tenait sa ceinture au niveau de son ventre le faisait frémir d'envie... NON! La route, il fallait qu'il se concentre.

Si cela durait encore bien longtemps, il devrait s'arrêter.

Oh... Seigneur. Cauchemar.

La partie de son anatomie qui avait tendance à être plus sensible que les autres à l'excitation sexuelle commençait à devenir plus flagrante... et une bosse se formait peu à peu dans son pantalon. Non! Il ne fallait pas qu'elle voit ça, ce serait une humiliation... Merde mais comment cela pouvait-il arriver?

Et elle rattrapa enfin la montre. Il était temps! Elle se rajusta sur son siège et ni l'un ni l'autre ne prononça mot sur ce qui venait de se passer, jusqu'à ce qu'elle s'excuse, se disant maladroite.

- Ce... Ce n'est rien je vous assure...

Ouf. La bosse dans son pantalon n'était plus. Il se gara au bord de la rue, près du restaurant La Stella d'Italia, et Athénaïs daigna enfin le regarder. Nicholas savoura le plaisir qu'il ressentait à plonger son regard dans le sien sans mettre sa vie en péril (enfin... il ignorait à quel point sa vie était en jeu quand il le faisait!) mais ce plaisir fut de courte durée, car il se rendit compte que la dame avait les yeux remplis d'eau. Oh! Comment décrire ce sentiment qui le prit à cet instant? Toutes les beautés du monde auraient pu s'écrouler devant ses yeux qu'il n'aurait pas éprouvé cette profonde blessure qu'il sentait de la voir triste. Elle lui esquissa tout d même un léger sourire en lui rendant sa montre, qu'il rajusta sur son bras en penchant la tête. Il voulait aller vers elle pour savoir ce qui n'allait pas, mais ils se connaissaient à peine et il ne voulait pas avoir l'air déplacé.

Il sortit de la voiture et la contourna pour aller ouvrir la portière du côté passager. Tendant son bras, il attendit qu'elle le prenne et s'y appuie pour refermer la portière et la conduire vers le restaurant, en véritable cavalier invitant sa demoiselle.

Se penchant vers son oreille, parce qu'il était plus facile de faire cela que de lui parler en la regardant dans les yeux, il murmura.

- Quoi que ce soit qui puisse vous rendre triste, mademoiselle de Fontanges, j'espère que vous me laisserez égayer un peu votre soirée...

Ils entrèrent dans le restaurant et on leur assigna une table pour deux près du foyer d'ambiance. Des chandelles éclairaient tout le restaurant et l'une d'entre elles était posée au centre de la table. Nicholas tira la chaise de la bibliothécaire et prit ensuite sa propre place. Une fois assis, il leva le regard vers elle et en eut le souffle coupé. À la lueur des flammes, elle était d'une beauté tellement incroyable qu'il fut tout à coup beaucoup moins certain de la véracité des événements, un peu comme si cela ne pouvait être qu'un rêve. Devant l'éclairage synthétique auquel elle avait été exposée plus tôt, la lueur des chandelles la rendait irréelle. L'éclat dans ses yeux était différent et s'il l'avait trouvé belle (le mot était faible) au lycée, il la trouvait maintenant sublime. Il avait peine à croire qu'une dame comme elle puisse partager un moment avec lui et tout à coup, il comprenait mal pourquoi elle cherchait à le séduire depuis tout à l'heure. Elle pouvait avoir n'importe qui, alors pourquoi lui?

Le serveur prit leur commande et leur laissa une bouteille de vin et deux coupes, que Nicholas remplit à moitié après avoir goûté le liquide bordeaux. Il leva ensuite sa coupe pour porter un toast.

- Eh bien... à cette suite d'imprévus! Qu'elle continue...

Souriant, son regard se fit plus insistant, lourd de sous entendus.

Le serveur amena très (trop) vite le repas de Nicholas, qu'il déposa devant le jeune homme. Il s'assura une deuxième fois auprès d'Athénaïs qu'elle ne voulait vraiment rien commander et il s'en retourna bredouille vers les cuisines. Le jeune professeur ne baissa pas les yeux vers son plat, trop absorbé qu'il était dans la contemplation de sa charmante invitée. Chacun de ses gestes semblait poétique. Ses longs doigts fins se promenaient sur le pied de sa coupe en cristal et il observait le mouvement gracieux avec délectation. Son attention n'était détournée que par les mouvements qu'il sentait sur sa jambe, créés par le contact du pied d'Athénaïs. Il se demandait si elle se rendait compte qu'elle le touchait. Il en fut troublé.

- Moi? Essayer de vous séduire? Mais regardez-vous, Mademoiselle de Fontanges. Vous êtes la femme la plus séductrice de toute la ville, peut-être même de tout le pays, et j'ai la prétention de croire que vous usez volontairement de votre charme sur moi...

Détendu par l'alcool qui s'infiltrait dans ses veines à la mesure de ses gorgées, Nicholas commençait à redevenir lui-même; un jeune homme gentil mais un peu prétentieux qui aimait provoquer et être provoqué. Toujours sous le charme de la belle, il se sentait plus timide et retenu, mais sa gêne se dissipait plus rapidement maintenant.

Soudainement, elle dévia la conversation sur un drôle de sujet, se plaçant dans le rôle de la belle victime et faisant de Nicholas le tueur psychotique. Il sourit, une fossette se creusa dans l'une de ses joues et il daigna enfin porter un peu son attention sur son assiette. Il prit le temps d'avaler une bouchée avant de relever son regard vers elle.

- Eh bien, si cela est, il ne vous est pas utile de vous questionner, puisque vous serez morte avant la fin de la nuit. Mais comme cela n'est pas, libre à vous de le croire, il ne reste qu'à trouver à cette soirée une fin plus... heureuse.

Nicholas était loin de se douter qu'il se trouvait dans une situation diamétralement contraire à celle qu'Athénaïs et lui venaient d'évoquer... À cette instant, à la suite de cette allusion, il se sentit un peu coupable car il avait bien conscience qu'elle pouvait être interprétée de façon peu catholique et à ce stade, il n'était plus certain de désirer seulement une nuit de volupté en compagnie de la belle. Ce dont il était certain, du moins, c'était qu'une seule nuit ne serait jamais suffisante. Il éprouvait une sorte de désir impérieux d'elle, de la posséder entièrement et pleinement, de l'avoir pour lui seul non pas pour un moment, mais pour toujours. C'était comme si à partir de cet instant, il ne comprenait plus comment il pourrait passer une vie sans la revoir. Après avoir vu le paradis, qui voudrait aller en enfer?

Athénaïs posa sa main sur la sienne et il frissonna. Il ne répondit rien et baissa les yeux pour terminer son repas. Quelques minutes plus tard, il s'engagea sur un tout autre sentier.

- Alors... vos parents étaient amoureux de l'histoire? Votre nom...



HJ: c'est pas très long mais au moins j'ai répondu Hein Nii?

Nicholas en oubliait pratiquement de manger, tant il était hypnotisé par le regard d'Athénaïs, par sa peau blanche, par ses lèvres pleines, par les cils qui battaient de haut en bas dans un geste de séduction... Il en devenait fou d'elle. Chacun de ses gestes se dessinait sur un chef-d'oeuvre de beauté qui l'inspirait à peindre d'autres tableaux dans son esprit... Des tableaux un peu moins représentatifs de la gloire divine, toutefois. Si l'alcool l'avait un peu détendu, il l'étourdissait maintenant, et il se sentait de plus en plus envoûté par la présence ensorceleuse de la bibliothécaire. Seigneur! Il avait du mal à comprendre qu'autant de désir puisse se tenir dans un seul homme. Il imagina quel regard il portait sur elle et il se dit qu'elle devait le trouver un peu bizarre, la fourchette à mi-chemin entre l'assiette et ses lèvres, ses yeux grands ouverts, ainsi que sa bouche. Il s'imagina l'air d'un poisson hors de l'eau et cela le fit sourire. Cela lui laissa aussi l'occasion de se détacher un peu de son admiration contemplative, suffisamment du moins pour terminer définitivement son repas et repousser l'assiette afin que le serveur l'emporte.

Lorsque celui-ci se fut éloigné, il replongea à nouveau son regard dans les yeux violets de la dame.

- J'ai plusieurs idées concernant la fin de cette nuit, mademoiselle de Fontanges... Mais les plus attirantes vous concernent.

La diabolique séductrice avait fait place à l'angélique ingénue et cela pulvérisa encore une fois l'aube de compréhension qui pointait dans l'esprit de Nicholas. Lui qui croyait commencer à cerner la jeune femme se retrouva encore une fois confus. Comment pouvait-elle être aussi convaincante dans les deux rôles? Et comment les deux personnalités antagonistes qu'il voyait en elle pouvaient, toutes deux, à tel point le séduire?

Ses réflexions furent interrompues par le serveur qui déposa l'addition près de lui, lui aussi hypnotisé par Athénaïs. Nicholas fut pris d'un léger sentiment de jalousie devant ce plutôt bel homme qui admirait sa compagne. N'était-elle pas sienne pour ce soir?

D'ailleurs, elle continua la conversation avec la demande d'être raccompagnée, proposant à Nicholas de partager le dessert chez elle. L'invitation ne pouvait pas être plus claire et le jeune professeur en eut la gorge sèche. Certes, il avait séduit maintes jeunes filles au cours de sa vie, mais aucune ne lui avait fait autant d'effet et toujours il avait été celui qui proposait, qui invitait et qui faisait miroiter l'espoir chez l'autre. Aujourd'hui, il était l'avide, le désireux, l'admirateur pendu aux lèvres de celle qui tenait les ficelles. C'était un sentiment étrange, mais rassuré par le fait qu'il savait qu'elle aussi était attirée par lui et qu'il terminerait probablement la soirée avec son corps nu sous le sien...

- Je me dépêche, bien entendu...

Nicholas était franchement ravi de cet empressement qu'elle exprimait, et il la regarda un peu avec incompréhension, incertain que la situation soit réelle, comme si une femme comme elle ne pouvait pas avoir aussi hâte de poursuivre la soirée avec lui. Il se leva, se dépêcha de sortir quelques billets de son portefeuille et laissa le tout avec la facture sur la table. Il offrit son bras à Athénaïs et salua le serveur en sortant du restaurant. Le contact de la jeune femme à son bras le perturbait, son odeur lui caressait les narines et une mèche de ses cheveux chatouillait sa nuque, ce qui le fit frissonner de la tête aux pieds. Il se demanda si elle percevrait ce frisson et à quoi elle l'attribuerait.

Une fois dans la voiture, il démarra et se retourna vers elle.

- Ou puis-je vous conduire, madame la bibliothécaire?

Souriant, il fit comme si il était détendu et il attendit patiemment la réponse.

Athénaïs regardait autour d’elle comme pour ignorer Nicholas. S’entaillant l’intérieur de la joue, elle cherchait à comprendre pourquoi elle faiblissait devant lui. Fermant les yeux pour éviter son regard, la jeune vampire tentait de penser à Caïus, essayant de s’obliger à lui rester fidèle. Mais contre son gré, elle ne pouvait rien y faire. Nicholas était là devant elle, alors que Caïus était loin, en Italie. Son orgueuil avait de la difficulté à admettre sa position d’inférieure face à lui. Louis XV l’avait idolatré, l’avait célébré, l‘avait présenté aux rois étrangers avant sa femme. Caïus, lui, la maintenait dans le noir, préférant se montrer avec son épouse. Il ne lui donnait que quelques nuits où ils étaient cachés dans les combles du château de Volterra. Elle en sortait qu’avec quelques blessures... Mais -elle ouvrit ses yeux, les fixant sur Nicholas- avec cet humain, elle serait dominante. Elle aurait ce qu’elle souhaitait. Il obéirait à ses ordres. Elle en raffolait déjà! Surtout qu’il avait hâte également. Les plus attirantes? Oui, il devenait clair qu’elle l’aurait dans ses draps cette nuit. Malheureusement pour lui, cela lui sera fatal.

Le serveur vint porter la facture à Nicholas. Athénaïs remarqua l’attention dont elle fut victime. Elle leva son regard vers le visage de cet impertinent serveur. Avec sa mémoire phénoménale, elle n’aurait aucun mal à retenir sa figure et elle pourrait facilement venir le tuer dans les prochains jours, afin de boire du sang chaud. Elle lui sourit gentiment avant de se montrer de nouveau impatiente avec Nicholas, qui la conduisit de nouveau dans sa voiture. Athénaïs lui donna l’adresse en lui expliquant un peu le chemin. La tête dodelinant, la vampire regardait le paysage passer. Maintenant, elle serait sagement. Pas question de plonger entre les cuisses de Nicholas de nouveau. Elle resterait tranquillement assise sur son banc, silencieusement, jouant la jeune femme gênée par ce qui viendrait inévitablement.

C’était tout de même une chance que Nicholas soit nouveau en ville, tout comme elle. Il ne pouvait pas savoir que l’adresse où le menait sa conquête était la maison d’une famille qui avait été assassinée récemment. Par nul autre qu’elle. Athénaïs avait connu Versailles, les Tuileries, l’Élysée. Comment pouvait-elle supporter de rester dans un vulgaire appartement où le propriétaire espionnait ses moindres gestes? La famille, maintenant décédée, habitait un magnifique manoir dans la forêt entourant Mist. Né d’un style mixte mêlant le Tudor et le Victorien, le manoir était l’endroit parfait pour tuer Nicholas. Elle pourrait se débarrasser de son corps en paix, après avoir profité de lui.

Évitant soigneusement son regard, Athénaïs se contentait de cligner délicatement des yeux, la jouant totalement ingénue. Lorsque la voiture fut stationnée dans l’allée de pierre, la jeune vampire n’attendit même pas qu’il lui ouvre la porte. La nervosité avait totalement pris possession d’elle. Athénaïs se sentait comme une débutante, comme une vierge. Était-ce ses doigts qui tremblaient? Non, c’était impossible. Montant sur le perron, elle sentit une pression terrible sur son corps, comme si l’atmosphère était soudainement devenue plus lourde. Elle déverrouilla la grande porte de l’entrée, l’ouvra à demi. Brusquement, Athénaïs se retourna vers lui, son regard sage était étrangement séducteur lorsqu’il était regardé à travers ses cils. Sa main tenait toujours la poignée de bronze de la porte. Adossée contre la paroi du manoir, elle leva la tête vers Nicholas.

-Vous m’accompagnez à l’intérieur?